« Chez Marcel », un point de repère pour les exilés depuis 2017

Au-dessus de Briançon, une maison accueille depuis juillet 2017 des personnes en situation précaire, souvent exilées. Cet hiver, un chantier participatif a permis de rénover l’installation électrique.

Une vue panoramique sur Briançon, des panneaux solaires à flanc de montagne, deux caravanes, un potager en escalier. Sur le toit est écrit « No color can divide the people », vous êtes bien arrivés « Chez Marcel ».

Depuis juillet 2017, un collectif a rénové cette petite maison à l’abandon sur les hauteurs de Briançon afin d’y accueillir des migrants soudanais. Depuis, le lieu, autogéré, est habité par une quinzaine de personnes en situation précaire, souvent exilées, faute d’alternatives de solutions d’hébergement à long terme dans le Briançonnais.

Le squat a été baptisé « Chez Marcel », en hommage à l’ancien propriétaire, un riche agriculteur décédé après un mariage rocambolesque. Depuis, cette vieille maison fait l’objet d’un conflit en justice entre les ayants droit de l’ancien propriétaire, comme le raconte Lisa, active depuis 2017.

Le lieu a été ouvert, car le Centre d’accueil et d’orientation (CAO), où étaient hébergés une douzaine de Soudanais suite au démantèlement du camp de La Chapelle (à Paris), devait fermer. Du coup, il y a eu cette idée, car la maison était complètement vide et qu’elle était dans cette impasse administrative, vu qu’on ne sait pas encore qui est le propriétaire. Il n’y a pas de propriétaire officiel, c’est en bataille judiciaire. Le CAO n’a pas fermé finalement et on a commencé à accueillir des gens qui passaient au Refuge solidaire et qui avaient envie de rester un peu, de se poser. C’était plutôt un choix car, au début, quand les gens voulaient partir, on réussissait à leur trouver des solutions pour être hébergés chez quelqu’un d’autre. Après, on trouvait moins de solution donc c’était un peu moins un choix de rester ici.

Lisa, engagée avec les exilé.e.s

Les premiers occupants sont partis, d’autres sont arrivés. Ousman, un jeune homme guinéen de 26 ans, vit chez Marcel depuis deux ans.

C’est des migrants. Ce sont des personnes en situation administrative compliquée, qui n’ont pas de soutien, sont restées longtemps à Briançon, qui n’ont pas de lieu où dormir. C’est un lieu de passage, pas uniquement pour les migrants, aussi pour les Français.


Ousman, habitant de « Chez Marcel »

Les habitants actuels sont tous des hommes, ce qui n’a pas toujours été le cas.

Il y a eu des femmes accueillies ici, des familles même. Ça s’est arrêté, car il y a eu au début une prise en charge plus complète au Refuge solidaire, je pense. C’est un peu de fait, comme c’est moins confortable et plus précaire ici qu’au Refuge, que les femmes sont moins arrivées jusqu’ici.

Lisa, bénévole

L’été, les deux caravanes permettent d’accueillir plus de monde. Les gens restent deux mois, un an, deux ans. Carole, qui habite à la Bâtie des Vigneaux, s’est investie à plusieurs reprises dans le lieu.

Il y a beaucoup de gens qui sont passés chez Marcel, et qui reviennent. C’est vraiment devenu une sorte de point de repère dans le briançonnais pour les réfugiés.

Carole, bénévole

Youssouf, un jeune homme marocain de 33 ans arrivé en France en 2020, est de retour Chez Marcel, après des aller-retours à Bordeaux, où il a taillé la vigne cet hiver.

Chez Marcel, c’est la maison de tout le monde.

Youssouf, habitant de « Chez Marcel »

Kebba, un Gambien de 28 ans, a vécu un an et demi chez Marcel. Arrivé en Sicile en 2017, il a lui obtenu le statut de réfugié. Ce qui lui a permis de louer un appartement dans le centre de Briançon, où il travaille comme cuisinier, après de multiples expériences professionnelles en France et en Europe. Il veut rester à Briançon, où il pratique l’escalade et se sent bien. Il revient parfois « Chez Marcel » pour rompre la solitude.

Ousman, déjà cité, espère devenir électricien. Mais sans titre de séjour, difficile de se former et encore plus de travailler, surtout à Briançon.

Au début, les gens qui sont arrivés, ils faisaient pour beaucoup une demande d’asile, donc ils avaient une aide financières de la part de l’État. Là, les gens sont sortis de la procédure de l’asile. La plupart, ils n’ont plus rien, ils ont zéro euro dans la poche.

Carole, bénévole.

Les militants estiment entre 300 et 400 euros les besoins de base par mois, pour assurer l’eau, le gaz et le bois. Une cagnotte a été montée sur le site HelloAsso avec l’idée d’inciter à des petits dons mensuels. Deux chats ont été embauchés pour chasser les souris.Le potager aménagé dans le jardin de « Chez Marcel ». /LF

Pas d’isolation ou presque, pas d’eau chaude, les hivers sont cependant rudes. D’autant que l’automne dernier l’installation électrique autonome, mise en place en 2017 et qui fonctionne avec des panneaux solaires et des batteries, est tombée en panne.

La maison n’était pas du tout habitable au début. De l’isolation a été faite sur les murs et au troisième étage. Mais au troisième étage, l’isolation bottes de paille posait des problèmes avec les punaises de lit.

Lisa, bénévole

Il y a des difficultés dans la maison. C’est une maison autonome en électricité. L’hiver, ce n’est pas facile. Le chauffage n’est que au bois. La priorité est que les gens qui sont dans la maison soient bien. Ça galère. Il y a eu plein de travaux, avec des petits collectifs. Il y a une association mais la maison est en autogestion. Avec des gens de toute l’Europe, qui sont venus faire le chantier de l’escalier par exemple.

Carole, bénévole

Parmi ces bonnes volontés, également des professionnels locaux, comme un électricien bénévole qui préfère ne pas être nommé. Grâce à une cagnotte, qui a permis de collecter 8000 euros, lui et d’autres professionnels du bâtiment ont pu rénover l’installation électrique, les panneaux solaires et les batteries, ainsi qu’installer un petit groupe électrogène d’appoint. Un chantier collectif a été organisé cet hiver.

Quand je suis arrivé, les batteries et panneaux étaient HS, ils tournaient complètement sur le groupe électrogène, ils laissaient le peu d’argent qu’ils ont dans l’essence. On a refait l’électricité de A à Z, c’est-à-dire la production -panneaux et batteries- et aussi la distribution. Déjà c’est difficile pour des gens qui ont une installation autonome de la gérer, alors sur un lieu avec 17 ou 20 personnes… On a refait la distribution pour qu’il n’y ait pas de départ d’incendie et que personne ne s’électrocute. Et ils ont l’électricité qui est gratuite, il n’y a plus de charge. On a lancé un appel à don, qui a permis d’acheter aussi un ballon solaire qu’on va poser fin mai. Ils auront enfin l’eau chaude. Quand vous vous douchez à l’eau froide de Briançon, vous vous douchez à l’eau à 6°C. Quand même, ça picote.

Électricien bénévole

Les prochains chantiers en vue sont la pose du ballon solaire et l’isolation du toit.

Toute une partie de l’électricité intérieure a été faite par les migrants eux-mêmes, sauf les parties compliquées. L’isolation sera faite aussi en collaboration. Les gens donnent des coups de main, ça a redynamisé aussi, car on laisse les gens dans une nasse. C’est un peu une prison à ciel ouvert, le statut de sans papier, et les gens finissent par être dans un désespoir qui les rend un peu lymphatiques.

Electricien bénévole

Pour se financer, « Chez Marcel » organise aussi des cantines pour des événements, notamment aux Croquignards à la Roche-de-Rame. Les dons sont possibles sur la plateforme HelloAsso.