Le palais de justice de Gap © Simon Becquet

Au procès de la SPA Sud alpine : des intentions louables mais des méthodes musclées illégales

Cinq heures d’audience, un peu moins de quarante victimes et quatre prévenus, dont la représentante légale de l’association. Jeudi 25 septembre se tenait le procès de l’affaire SPA Sud Alpine au tribunal de Gap. Les faits examinés se sont déroulés de juillet 2022 à janvier 2023. Pendant plusieurs mois, un groupe interne à la SPA Sud Alpine et sans reconnaissance institutionnelle, la BISA (Brigade d’Intervention et de Sauvetage Animalier) intervenait de manière hebdomadaire chez des particuliers sur la base de signalements de maltraitance d’animaux domestiques. Le mode opératoire qui impliquait la plupart du temps des policiers et des gendarmes permettait à la SPA de persuader les propriétaires de leur remettre leurs animaux même lorsqu’ils se montraient réticents. Trois bénévoles membres de la BISA sont accusées d’extorsions, vol et atteintes à l’intimité de la vie privée du fait de vidéos tournées sans consentement lors des interventions. La SPA Sud Alpine comparaissait pour l’émission d’une facture dont le montant aurait été artificiellement gonflé.

Parmi les prévenues, l’une porte une veste noire avec au dos le dessin d’un chien se tenant debout, poing contre poing avec un humain, l’autre un tatouage de loup sur l’avant-bras gauche, le décor est posé. Le mode opératoire de la BISA décortiqué : tenue qualifiée de « paramilitaire », rangers aux pieds, caméra visible accrochée au torse, participation régulière de policiers ou de gendarmes. Tout cela a contribué à mettre sous pression les victimes pour obtenir de leur part la signature de formulaires d’abandon, ce qui pourrait constituer des faits d’extorsions.

« Vous arrivez à vous mettre à leur place ? » demande la procureure de la République de Gap Marion Lozac’hmeur à Joanna T, ancienne agente de la BISA qui aurait incarné un rôle de leader « de facto » sans en avoir le titre. « J’entends totalement ce que ça peut provoquer chez les gens, répond l’intéressée, ces actions n’auraient jamais dû se passer comme ça. » « Vous reconnaissez que vos interventions étaient en dehors de tout cadre légal et totalement inadaptées dans un état de droit ? » reprend la procureure. Sans se démonter, Joanna T assure que « toutes les SPA de France font ça. J’ai exercé avant pour 30 millions d’amis, c’était pareil, voire pire. Au départ on devait être dans l’accompagnement, au final, on tombait dans autre chose. »

La procureure livre son analyse: « c’est la chronique d’une dérive de personnes qui se pensaient investies d’une mission et qui aujourd’hui doivent répondre d’infractions pénales. Elles agissaient en dehors de tout cadre légal alors qu’il en existe un : les services vétérinaires et les ordonnances du parquet. Dans ces interventions il y avait une forme de légitimation factice pour obtenir ce qu’on veut, la remise des animaux. Un semblant de forces de l’ordre : uniforme, caméra, on s’appelle la BISA, tout de suite, ça renvoie à quelque chose d’officiel. Mon hypothèse c’est que c’est une croisade dévoyée. » L’avocate de Joanna T propose une autre lecture : « elle fait partie des quelques 700 personnes qui œuvrent contre la maltraitance animale » faisant directement référence aux, bénévoles-enquêteurs, dont les fiches missions sont consultables sur le site de la SPA. Celles-ci évoques notamment deux règles à appliquer : « les procédures internes à la SPA et les cadres juridiques inhérents à l’activité du délégué-enquêteur. »

Du côté de la défense, on fait valoir des conditions d’exercice difficile et des bénévoles livrés à eux-mêmes. « Je pense que c’est une activité qui ne devrait pas être exercée sans réelle formation, avance Joanna T, c’est difficile de garder autant de calme, d’écoute, quand vous commencez à passer d’un animal qui n’a pas de croquettes au fait de récupérer des cadavres. À un moment, c’est devenu trop fort, en fatigue et au niveau psychologique. J’ai des remords d’avoir géré les choses comme je l’ai fait, sans formation. »

La participation des forces de l’ordre est également pointée du doigt par l’avocat des parties civiles, Me Henderycksen, qui estime qu’elles ont pu lors de certaines interventions jouer le rôle de « caution passive». En effet, l’une des prévenues avance : « Pour moi, si je suis avec un gendarme ou un policier c’est que tout ce que je fais est bien ». Me Henderycksen indique que ses clients « se posent tous les mêmes questions car ils sont victimes des mêmes faits : comment une telle dérive a-t-elle pu s’institutionnaliser ? Et pourquoi ? […] Comment les forces de l’ordre ont-elles pu faire ça ? Peut-être ont-elles été naïves ? Mais à partir du moment où la SPA dit que ça leur donne de la légitimité, c’est important. Des forces de l’ordre qui entrent chez vous en dehors de tout cadre d’enquête, on est où, en Biélorussie ? ». « La partie civile aurait vraisemblablement aimé représenter le ministère public » recadre la procureure de la République avant de rappeler, comme l’a révélé ram05, qu’une enquête préliminaire disjointe était en cours au sujet de la participation d’un ancien commandant de police de Gap lors des interventions de la BISA.

Ont été requis, pour les trois ex-agents de la BISA, dix-huit mois d’emprisonnement avec sursis simple intégral et interdiction d’exercer une profession dans le social pendant cinq ans, huit mois d’emprisonnement avec sursis, quatre mois d’emprisonnement avec sursis, et 3000 euros d’amende pour la SPA Sud Alpine.

À l’issue du procès ram05 a recueilli les propos de Joanna T et Me Henderycksen.

C’est une audience qui a été longue et difficile. J’espère, en tout cas j’ai confiance en la justice pour réussir à éclaircir cette situation et faire comprendre qu’à aucun moment il n’y a eu une intention de nuire. Si cela avait été le cas plein de choses ne se seraient pas passées, par exemple on se doute bien que si j’avais voulu nuire à quelqu’un je n’aurais pas pris l’initiative de filmer les choses. Ce qu’il est important de relater sur cette procédure c’est qu’il y a aujourd’hui une vraie problématique de la lutte contre la maltraitance en France et que les équipes qui interviennent et qui sont toujours des bénévoles, ne sont pas accompagnées comme il le faudrait. D’une part sur le plan juridique car on nous a beaucoup repris sur le cadre légal et en effet je ne suis pas juriste et c’est aussi pour cela qu’on avait le renfort des forces de l’ordre. À mon sens, dès lors qu’elles nous accompagnent et ne réprimandent pas nos actions c’est qu’on est dans le cadre de la loi. D’autre part sur le plan psychologique car les interventions maltraitance les gens voient ça de manière assez légère et n’ont pas conscience de la portée de la maltraitance et des actes qui peuvent être causés.

Joanna T, ex-membre de la BISA

Chacun se renvoie la balle, la SPA vous dit qu’à partir du moment où les gendarmes ou les policiers étaient là on était persuadées d’agir dans le cadre légal. Mais elles ne peuvent pas ignorer que le titre d’enquêteur animalier ne veut rien dire. Oui il y a tout un process mais c’est un process interne [à la SPA]. Comme je le disais, ou comme on a pu l’entendre, quand il y a un signalement pour maltraitance, vous êtes société protectrice des animaux, vous prenez attache avec la personne et vous lui demandez gentiment si elle peut vous recevoir. Si on prend les choses comme ça ça va se passer différemment bien évidemment. Et vous pourrez dans un cadre tout à fait normal avec l’assentiment des personnes qui vous reçoivent, voire s’il y a oui ou non matière à dénoncer aux forces de l’odre un cas de maltraitance. À ce moment-là les forces de l’ordre alerteront le parquet, ou ouvriront une enquête en préliminaire, ou si c’est tellement évident, en flagrance. Aujourd’hui j’entends que personne n’était au courant de tout ça. Je veux bien croire que les gendarmes ou les policiers dans certains cas aient pu être abusés. Mais au bout d’un moment c’est eux qui connaissent le code de procédure pénal.

Me Henderycksen, avocat des parties civiles