Pourquoi la cour de cassation relance l’affaire au civil contre Jean-Michel Di Falco, ancien évêque de Gap
Révélé par La Croix en novembre, un arrêt de la Cour de cassation a relancé au civil cet été la procédure contre Jean-Michel Di Falco, ancien évêque de Gap, accusé de viol et d’agression sexuelle sur mineur. Décryptage.
Évêque de Gap jusqu’à son départ à la retraite en 2017, Jean-Michel Di Falco fait l’objet d’une assignation au civil pour des accusations de viol et d’agression sexuelle sur mineur. Cet ancien porte-parole de la conférence épiscopale a toujours nié les faits allégués.
La victime, Marc – c’est un pseudonyme -, a été déboutée en appel au civil, mais le dossier a été relancé cet été par un arrêt de la Cour de cassation daté du 7 juillet 2022, révélé par La Croix. L’affaire sera donc rejugée dans les prochains mois par la Cour d’appel de Paris, composée de magistrats différents.
Les débats portent sur la prescription des faits, qui ont toujours été niés par Jean-Michel Di Falco. Les viols et agressions sexuelles, dont il est accusé, auraient été commis au début des années 1970, alors que Marc, la victime, avait entre 12 et 15 ans. Il était élève au collège privé Saint-Thomas d’Aquin à Paris, dirigé par le père Jean-Michel Di Falco. En 2001, âgé de 41 ans, Marc alerte le cardinal Lustiger, supérieur de Jean-Michel Di Falco. Ce dernier, en pleine ascension médiatique, est alors auxiliaire du cardinal-archevêque de Paris. Me Jean-Baptiste Moquet, avocat du plaignant :
Sa mère était devenue proche de Jean-Michel Di Falco. Jean-Michel Di Falco a dit la messe d’enterrement de son père, ça va jusque là. En l’espèce, il n’a pu parler que quand il s’est rendu compte, en croisant Jean-Michel Di Falco, dans le jardin des Tuileries, entouré d’une ribambelle d’ados, que ce n’était pas une histoire d’amour particulière qu’il avait vécu, mais que c’était une déviance sexuelle.
Me Jean-Baptiste Moquet
Jean-Michel Di Falco n’a jamais été jugé sur le fond concernant ces accusations, qu’il nie farouchement. Face à l’inertie de l’Église qui n’engage pas de procès canonique, Marc dépose plainte au pénal. Son avocat raconte la suite.
Pour moi, c’est de la mauvaise politique pénale. On a voulu éviter un procès aux assises, d’ouvrir une boite de pandore qui ferait qu’il y aurait encore plus de plaintes de victimes.
Me Jean-Baptiste Moquet
Le procureur de Paris classe la plainte pour prescription. En 2002, une deuxième victime, ancien élève d’un autre collège privé dirigé par Jean-Michel Di Falco, dépose plainte pour agression sexuelle. Là encore le parquet de Paris classe sans suite pour prescription. Mais face au tollé, le diocèse de Paris envoie son évêque à Gap. Il y restera de 2003 à 2017. Il n’a jamais été jugé sur le fond du dossier.
En 2016, après un pourvoi non admis en cassation et un recours irrecevable devant la Cour européenne des droits de l’Homme, Marc assigne l’évêque et le diocèse de Paris au civil, peu avant le départ à la retraite de dernier. Il lui demande des réparations financières.
Son objectif, c’est la condamnation de Monseigneur Di Falco, qu’il soit enfin reconnu comme victime d’agressions sexuelles et viols pendant des années. La justice pénale a refusé de passer, il saisit la justice civile.
Me Jean-Baptiste Moquet, avocat de Marc
Alors qu’au pénal, les enquêteurs disposent de pouvoirs d’investigations coercitifs si nécessaires comme des perquisitions. Au civil, c’est à la personne qui invoque une faute de rapporter la preuve.
Depuis la prescription a évoluée en matière pénale. En 2018, une loi a fait passer le délai de prescription des crimes sexuels sur les mineurs de vingt à trente ans, à compter de la majorité de la victime. C’est-à-dire qu’il aujourd’hui possible de déposer plainte jusqu’à ses 48 ans. Depuis la loi du 21 avril 2021, ce délai peut être prolongé en cas « de commission sur un autre mineur par la même personne, avant l’expiration de ce délai, d’un nouveau viol, d’une agression sexuelle ou d’une atteinte sexuelle ».
En matière civile, la prescription, en matière de préjudice corporel, court sur dix ans « à compter de la date de consolidation du dommage initial ou aggravé ». C’est-à-dire que tant que le préjudice corporel est susceptible d’évolution, on ne peut l’indemniser. Il faut que le préjudice soit fixé pour que le délai de prescription commence à courir.
En première instance et en appel, le justice civile avait considéré ce délai courrait à partir de 1989, date à la quelle Marc avait entamé une psychothérapie. La Cour de cassation les a désavoué. « En fixant le point de départ de la prescription de l’action de (la victime) à l’année 1989, date à laquelle, celui-ci a entamé une thérapie, sans vérifier si et à quelle date le dommage avait été consolidé, la Cour d’appel a privé de base légale », indique l’arrêt. Les juges auraient en effet du « rechercher si ce préjudice avait fait l’objet d’une consolidation et, le cas échéant, à quelle date ».
C’est une jurisprudence qui était déjà en train d’être posée, mais qui est une excellente nouvelle pour toutes les victimes d’infractions sexuelles. Même si au pénal on leur oppose la prescription, ils vont pouvoir agir au civil.
Me jean-Baptiste Moquet, avocat de Marc
Rappelons que Jean-Michel Di Falco nie ces accusations et que la justice n’est pas encore passée. Contacté Me Olivier Baratelli, avocat de Monseigneur Jean-Michel Di Falco, ne nous a pour l’instant pas répondu. « Rien n’a été gagné au pénal et je pense que rien ne sera gagné au civil », a-t-il répondu à nos collègues de BFM d’Ici.
Pourtant, lundi, son nom n’avait pas été directement cité par la Conférence des Evêques à Lourdes qui révélait que dix anciens évêques avaient affaire ou eu affaire à la justice – « huit mis en cause pour abus » et deux « pour non dénonciation ».