La "cotologie" du lac de Serre-Ponçon, une science complexe
Après une année 2022 difficile pour une partie des socioprofessionnels du lac de Serre-Ponçon, son niveau est plus que jamais scruté et commenté en temps réel. Pourtant, les variables qui influencent son remplissage sont nombreuses, en partie imprévisibles et devraient inciter les observateurs à manier les prévisions avec prudence.
Fin-mai début juin, en l'espace de cinq jours, BFM DICI a publié pas moins de sept articles relayant ici des inquiétudes, là des commentaires rassurants sur le remplissage du lac de Serre-Ponçon, relayant au fil de l'eau des assertions d'élus locaux sur son niveau. Au final, les médias locaux ont diffusé plus d’une dizaine d’articles en quelques heures sans que la question « le lac sera-t-il plein au 1er juillet » ne soit posée au principal acteur capable d'y répondre : EDF Hydro Méditerranée. Comment se remplit et se vide le lac de Serre-Ponçon ? Dans quelle mesure peut-on réellement prévoir le niveau de remplissage estival plusieurs mois à l'avance ? Décryptage avec la directrice concession pour EDF Hydro Méditerranée, qui gère les ouvrages hydroélectriques de la Durance et du Verdon.
Pascale Sautel se dit « extrêmement confiante ». « Aujourd’hui on est sûr d’être au-dessus de la côte touristique de 775m au 1er juillet» assure-t-elle. « On a toujours dit que l’année 2023 ne serait pas l’année 2022. »
Le niveau du lac est donné en mètres NGF, mesure utilisée pour toutes les altitudes en France, qui se réfère au niveau de la mer. Entre l'hiver et l'été, le niveau de la retenue peut varier d’une quarantaine de mètres. L’engagement – non réglementaire – d’EDF est de 775 m au 15 août, avec une côte optimale à 780m. Il faut donc se situer au-dessus des 775 m au 1er juillet.
Sur quelles données s’appuie EDF Hydro Méditerranée ? La côtologie ou prédiction de la côte du lac est une science complexe. Les variables sont nombreuses. Parmi elles, une est connue relativement tôt dans l'année : le stock de neige. Cet hiver, l’enneigement a doublé par rapport à l’an dernier. «Il reste actuellement 5 cm de neige sur les sommets, au-dessus de 2500 mètres » précise Pascale Sautel.
Le stock de neige, il est connu, il n'y a pas de possibilités qu'il évolue. On l'évalue très tôt grâce à notre système d'instrumentation. On a 33 points de mesure d'enneigement sur le bassin de la Durance et du Verdon pour justement l'approcher avec le plus de rationalité possible.
Pascale Sautel, directrice concession pour EDF Hydro Méditerranée
Pour autant, ce n'est pas parce qu'il a peu neigé une année, que l’été est forcément condamné. Il reste la variable "météo", soit les perspectives de pluie sur toute la chaîne Durance-Verdon et les températures. Des données impossibles à prévoir au-delà de quinze jours, pour lesquelles EDF Hydro Méditerranée est obligé de construire de multiples scénarios.
On est obligé d'émettre un faisceau des possibles. De se dire, en fonction de la pluviométrie voilà l'ensemble des possibles que je peux avoir. Et donc dès le mois de février et mars, on va aller faire tourner nos modèles en disant : j'ai ce stock de neige, il est connu, et je peux avoir tout un faisceau des possibles en fonction des températures, des précipitations et des besoins en eau.
Pascale Sautel, directrice concession pour EDF Hydro Méditerranée
Autre variable, les prélèvements. Qu’ils soient agricoles ou pour des besoins d’eau potable, leur volume va dépendre lui aussi de la météo.
Quand il pleut à Cadarache, quand il pleut dans le Sud, les cultures ont moins besoin de prélever d'eau. Et on a des barrages intermédiaires sur cette chaîne de la Durance et du Verdon pour stocker de manière intermédiaire tous les apports. Cela nous permet de satisfaire les prélèvements agricoles sans déstocker, sans faire baisser le niveau de Serre-Ponçon.
Pascale Sautel, directrice concession pour EDF Hydro Méditerranée
La météo en aval du barrage, joue ainsi un rôle important. A titre d'exemple, en mai dernier, la retenue a ainsi pris 10 mètres en un mois, avec la fonte des neiges couplée à d’importantes pluies dans le sud qui ont limité les besoins en irrigation.
On a des prélèvements à la fois de la Société du Canal de Provence pour le Verdon ou de la Commission exécutif de la Durance (les agriculteurs de la basse Durance) qui se sont effondrés de 25 à 50 %.
Pascale Sautel, directrice concession pour EDF Hydro Méditerranée
Ceci permet actuellement à EDF de stocker « l’intégralité des débits entrant dans Serre-Ponçon » soit 150m3/seconde.
Enfin, dernière variable, sur laquelle cette fois EDF a la main, la production d’énergie. « Depuis le 10 février, EDF a une gestion contrainte, c’est-à-dire qu’on n’a plus de gestion énergétique de la chaîne de la Durance et du Verdon » assure Pascale Sautel. « On s’interdit d’aller faire baisser le niveau du lac pour produire de l’énergie par solidarité avec la conciliation des usages pour donner une priorité au remplissage »
Depuis le 10 février nous avons une gestion contrainte. Ça veut dire qu'on n'a plus de gestion énergétique de la chaîne de la Durance et du Verdon, qu'on s'interdit de baisser le niveau du lac pour produire de l'énergie par solidarité avec le multi-usages. Parce que dès février on s'est dit "il y a plus de neige qu'en 2022 mais on est quand même dans une année déficitaire d'un point de vue hydrologique".
Pascale Sautel, directrice concession pour EDF Hydro Méditerranée
La chaîne de la Durance et du Verdon a été conçue avec comme objectifs la limitation des crues, l’alimentation en eau de l'aval et la production d'électricité. Ces deux derniers usages ont des logiques et des calendriers très différents. Sans parler de l’enjeu touristique, désormais pris en compte par EDF même s’il n’est pas inclus dans le contrat de concession.
La chaîne de la Durance et du Verdon a été conçue pour produire à la pointe. C'est à dire pour répondre aux besoins du réseau électrique aux moments où ils sont le plus important.
Pascale Sautel, directrice concession pour EDF Hydro Méditerranée
La retenue n’a donc « pas été conçue pour produire au fil de l’eau » précise Pascale Sautel, mais pour stocker l’eau et répondre rapidement aux pics de consommation.
Que retenir ? Qu’il n’y a pas d’année normale. Ni de côte de lac « normale » à la fin de l’hiver. Car beaucoup d’autres facteurs entrent en jeu. L’an dernier, année noire pour les acteurs du tourisme car la côte touristique n’a pas pu être tenue, le lac était pourtant à 767 m à la mi-janvier. Mais bien que la production d’électricité ait chuté de 60 % le lac ne s’est jamais rempli à cause d’un déficit historique de neige et de pluie. A l'inverse, 2018, année faste lors de laquelle EDF avait largement tenu la côté touristique, le point bas était à 732 m à la mi-avril.
Entre un point bas à 732 m le 15 avril et un point bas à 767 m au 15 janvier, cela ne signifie rien car en 2022 on n'a pas tenu la côte touristique, alors qu'en 2018 on l'a tenue. On est en permanence en train de devoir mesurer ce qui est connu, la neige, et modéliser tous les autres scénarios qui pour le coup ne peuvent pas être connus avec certitude en mars avril mai si on se projette au 1er juillet.
Pascale Sautel, directrice concession pour EDF Hydro Méditerranée